Physical Address

304 North Cardinal St.
Dorchester Center, MA 02124

Dans « Emilia Perez », Jacques Audiard filme une caïd transgenre dans le milieu des cartels mexicains

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER
A lire de quoi il retourne dans Emilia Perez – depuis la présentation du film dans la compétition cannoise au mois de mai, les occasions n’ont pas manqué –, il faut décidément se pincer pour y croire. Sans doute savait-on Jacques Audiard perméable à la séduction de l’insolite et du bizarre. Un fils d’alcoolique se fait imposteur et s’invente un passé de héros de la Résistance (Un héros très discret, 1996). Une employée de bureau sourde s’éprend d’un petit délinquant en réinsertion (Sur mes lèvres, 2001). Un videur séduit une dresseuse d’orques amputée des deux jambes (De rouille et d’os, 2012). Un réfugié tamoul, gardien d’une cité chaude, démontre au gang qui terrorise tout le monde en quoi consiste l’art de la guerre (Dheepan, 2015). On pourrait continuer à dérouler.
Emilia Perez, néanmoins, dépasse tout ce que l’on pourrait imaginer. Sans en révéler toutes les péripéties, on pourrait en convaincre par une description la plus froide possible de ce drame musical porté à ébullition. Rita (Zoe Saldana), avocate mexicaine ambitieuse et exploitée par les ténors masculins du cabinet où elle travaille, est enlevée en pleine rue par une escouade de brutes. Les yeux bandés, la voici nuitamment conduite au quartier général d’une créature ultraviriliste de laquelle suintent la bestialité et le malaise : Manitas del Monte (Karla Sofia Gascon, grimée en homme).
Contre toute attente, la cheffe de gang, qui a pris toutes ses dispositions, confie à l’avocate qu’elle achève le long processus d’une transition de genre et qu’elle l’embauche pour qu’elle supervise, sans trahir son identité et avec accès illimité à son immense fortune, la dernière ligne droite : organiser l’opération, simuler son assassinat, mettre sa femme Jessi (Selena Gomez) et ses enfants à l’abri du besoin en Suisse.
Deux parties contrastées suivront cet hallucinant exorde. La première, par magie transformative, voit Manitas, devenu Emilia Perez (Karla Sofia Gascon, en son naturel d’actrice trans), convertie à l’action philanthropique, devenir une figure sociale de l’aide aux plus démunis. Un brin d’humour rédemptionnel, pour ne pas dire métaphysique, ne fait pas de mal. Incapable de surmonter la séparation d’avec ses enfants, elle recontacte cependant Rita pour organiser le retour au Mexique de sa famille, en se faisant passer pour une cousine de Manitas qui les accueille dans sa maison. Entre-temps, sa veuve, Jessi, qui file le parfait amour avec le sombre Gustavo, aspire férocement à l’indépendance, à l’instar de toutes les femmes de ce film. Contentons-nous de dire que c’est ici que les ennuis arrivent et que la transition commence à prendre du plomb dans l’aile.
Il vous reste 35.68% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.

en_USEnglish